Vers une conscience numérique
Vers une conscience numérique
Mars 2025, par Céline Teret
Un article du magazine Symbioses n°143 : Du clic au dé-clic
Des associations se sont unies pour co-construire et co-animer La face cachée du clic, un cycle de six ateliers participatifs. Il invite adultes et ados à découvrir l’univers numérique sous différentes facettes (sociétales, environnementales, démocratiques, etc.)
Au travers d'ateliers participatifs, ados et adultes se penchent sur les impacts du numérique sur l'environnement.
Photo © Céline Teret
Un data center, un smartphone, une box wifi… Les traits colorés au pastel se dessinent sur de larges feuilles de papier noir, pour répondre à la question lancée par Erick Mascart, des Amis de la Terre, co-animateur du jour : « Dessinez ce qu’il se passe au niveau matériel lorsque vous faites une requête sur internet. » Réparti·es en quatre sous-groupes, la vingtaine de participant·es à ce 4e atelier du cycle La face cachée du clic (1), s’exécutent, avant de venir présenter leurs œuvres sur l’estrade d’une salle de la Bibliothèque d’Ixelles. En ce samedi après-midi, ce sont les impacts du numérique sur l’environnement qui sont passés au crible.
Co-construit et participatif
« Si je viens à ces ateliers, c’est pour mes enfants, pour avoir un espace d’échanges », confie une maman, venue avec sa fille. Un bon tiers d’ados compose le groupe. Pari réussi pour La Ligue des familles, à l’initiative de ce cycle, qui souhaitait précisément réunir adultes, parents et ados, autour de six ateliers participatifs vers une conscience numérique. Annie Randazzo, de la Ligue des familles, revient sur l’origine du projet : « Le constat est celui de la place de plus en plus grande que prend le numérique dans nos vies, pour communiquer avec l’entourage, au travail, à l’école… A la Ligue, on a voulu créer un espace pour mieux comprendre l’univers numérique, le questionner et découvrir les moyens d’action possibles. » Pour ce faire, Annie s’est entourée de partenaires ayant une expertise en la matière : Abelli, les Amis de la Terre, les CEMEA, Educode et Formation Insertion Jeunes. « On a co-construit le cycle ensemble et chaque atelier est animé en binôme. »
Différentes faces cachées du numérique sont dévoilées au cours des ateliers : les traces et données personnelles, l’attention captée, les enjeux environnementaux... Pour cette 4e édition, le cycle intègre aussi deux sujets brûlants : le cyber-harcèlement et l’intelligence artificielle.
S’enrichir mutuellement
Deuxième exercice de l’après-midi. Des cartes à classer en trois grandes catégories : les terminaux (à savoir nos appareils), les réseaux, et les data centers (centres de données). En sous-groupes, on observe, on interroge, on déplace… On échange, aussi. Jean, la cinquantaine, interroge Théo : « Et tu joues beaucoup aux jeux vidéo ? » « Non, ma maman ne veut pas ! » Non loin, la maman de Théo sourit, elle qui avait glissé en début d’atelier : « Au niveau professionnel, je suis techno-enthousiaste, mais en tant que maman, je me sens complètement techno-résistante ! J’ai peur de l’impact de ces outils numériques sur les jeunes. » Jonglant avec les cartes, Théo semble assez bien cerner ce monde numérique qui l’entoure. Reste à voir s'il en connaît les faces cachées...
« C’est un plaisir, ce mélange de générations, partage Amina, une autre participante. Je n’ai pas d’enfant, donc ça me permet d’apprendre d’eux, on s’enrichit mutuellement. J’ai décidé de participer à ce cycle pour mieux comprendre dans quel monde j’évolue, car j’y suis et ne peux m’y soustraire. Je me demande quels choix faire, que faut-il éviter. »
Smartphone à l’épreuve
Méthode participative à l’appui, le groupe est ensuite amené à découvrir le cycle de vie du smartphone, des matières premières à la fin de vie, en passant par la fabrication des composants, l’assemblage, la distribution ou encore l’utilisation. « Je suis certain que vous avez toutes et tous, dans un tiroir, des téléphones ou autres appareils qui trainent et que vous n’utilisez plus », lance Erick. Des chiffres fusent : 80% des appareils électroniques disparaissent dans la nature. Plus de 60 millions de tonnes de déchets électroniques sont générés dans le monde chaque année.
Devant une carte du monde, les sous-groupes vont aussi tracer le trajet d’un smartphone, toujours en regard de son cycle complet de vie. Les flèches vont et viennent d’un continent à l’autre. « Il y a beaucoup trop de trajets, s’exclame une participante. C’est dingue comme ça voyage, ça consomme ! ». Des chiffres encore : un smartphone fait quatre fois le tour de la Terre avant sa première utilisation, soit 160 000 km. Et ce n’est pas tout : le groupe va aussi découvrir que 70 à 80% de la dépense énergétique due à l’appareil se produit au cours de sa fabrication. « Quand on déballe le smartphone de sa boîte, la plupart des dégâts ont déjà été faits… », souligne Erick.
En action
Alors, comment agir, se questionne le groupe. Des pistes d’actions individuelles et collectives se déposent petit à petit sur une affiche titrée « Sobriété numérique – Agir » : garder ses appareils le plus longtemps possible, réclamer des lois pour plus de respect environnemental et de droits humains, etc. (lire aussi ci-dessous).
L’atelier touche à sa fin. Dernières recommandations : « Pour notre prochain atelier, on va vous proposer une exposition des alternatives numériques possibles, explique Annie. Prenez votre ordinateur, smartphone ou tablette, pour qu’on puisse les tester directement sur vos appareils. » Jean est ravi : « Je cherche des alternatives. J’hésite à me retirer d’une série d’outils comme Facebook ou Instagram. Mais ils sont tellement efficaces que c’est pas évident de s’en détacher. Ça donne le vertige de voir qu’il y a une terrible concentration des pouvoirs liés à ce monde numérique. C’est presque une dictature numérique, qui passe au-dessus des lois. Combattre ça, c’est énorme… Mais ça me semble important de prendre conscience que le numérique, c’est aussi un enjeu pour nos démocraties. »
Objectif : sobriété
« La première façon d’agir fortement et rapidement est d’éviter la fabrication de nouveaux équipements utilisateurs », peut-on lire en introduction d’une liste de 80 points, intitulée Agir pour une sobriété numérique (2) et distribuée à l’issue de ce 4e atelier de La face cachée du clic. En haut de cette liste, les actions les plus politiques et collectives, car les plus impactantes. « L’enjeu principal, il n’est pas dans les petits gestes, même si on ne va pas les dénigrer, mais il est politique. Une action systémique est indispensable », souligne Erick Mascart des Amis de la Terre. Il s’agit donc de faire pression pour que le système change et d’exiger des lois, entre autres, pour allonger la durée de garantie légale des appareils ou interdire les offres de réengagement contre des équipements à « 1 euro », par exemple.
Les points suivants condensent les gestes à l’échelle individuelle : « éviter l’achat d’un nouvel appareil » étant en tête, avec « essayer de réparer son appareil ou acheter d’occasion ou recoditionné ». D’autres gestes visent à acheter responsable, à limiter l'impact énergétique des usages (par ex. utiliser le wifi plutôt que la 4 ou 5G) et à utiliser plus sobrement internet : regarder les vidéos en basse/moyenne résolution, télécharger plutôt que streamer, écouter sa musique en audio plutôt qu’avec vidéo, réfléchir avant de cliquer (est-ce bien nécessaire ? que vais-je en tirer ?), mesurer sa consommation, installer une appli anti-pub, etc.